Les ports sont généralement l’interface première d’un territoire avec le monde. C’est plus particulièrement le cas dans nos îles de l’Indianocéanie où plus de 90% des échanges y transitent. Les zones portuaires sont donc des lieux de passage et d’échanges, des espaces de brassage. C’est ce dont témoigne la série d’expositions photographiques « Connecter les ports et les hommes ».
Après Zanzibar en avril 2021, cette exposition s’est tenue au musée de la Photographie à Madagascar et au Caudan Arts Centre à Maurice en août 2022. Pour ce faire, les photographes Rijasolo de Madagascar et Keivan Cadinouche de Maurice ont promené leur objectif pour rendre compte de la dimension humaine des ports. Cette activité est organisée par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime dans le cadre du programme de sécurité portuaire et sûreté de la navigation (PSP), coordonné par la COI sur financement de l’Union européenne.
« Cette exposition vise à sensibiliser les pays bénéficiaires du programme PSP sur l’importance des ports pour l’économie bleue en mettant en exergue les aspects humains de l’activité portuaire qu’il s’agisse des travailleurs ou d’autres personnes qui vivent avec ou autour des ports. La photographie est un moyen efficace pour documenter la variété des relations entre un port et son environnement en montrant aussi ce que nous n’avons plus le temps de voir, c’est-à-dire toutes ces connections que suscitent les ports qui marquent fortement les territoires par leur empreinte infrastructurelle mais aussi par leur pouvoir d’attraction. Il s’y passe toujours quelque chose parce que les ports sont clairement connectés à l’humain. »
« L’Union européenne, avec les partenaires de mise en œuvre du programme PSP, à savoir l’Organisation maritime internationale (OMI), INTERPOL et l’ONUDC, promeut une collaboration étroite pour mieux sécuriser les ports participant ainsi à l’amélioration de la qualité de vie des populations, comme ici à Maurice, ce dont témoignent les photos présentées dans l’exposition. Compte tenu de la nature multidimensionnelle des défis, la coordination de toutes les agences au niveau nationale est importante pour développer une approche globale de prévention et d’intervention face aux risques et crimes en mer. C’est indispensable pour assurer la sécurité portuaire et la sûreté de la navigation. »
Les ports connectent les hommes
Les images de Rijasolo et Keivan Cadinouche montrent bien la variété des vibrations qui émanent d’un port. Leurs photographies donnent à voir du métal, la mer et surtout des hommes, des femmes et des enfants qui font vivre le port ou qui en vivent. Elles montrent combien les ports connectent les hommes. Aussi, pour en savoir plus sur leur démarche, les deux photographes répondent à quelques questions sur leur contribution à l’exposition « Connecter les ports et les hommes »
« Une ville portuaire, c’est une ouverture sur d’autres aventures »
Vous avez réalisé l’exposition « Connecter les ports et les hommes » à Madagascar. Qu’est-ce que vous retenez du lien entre un port et son environnement ?
J’ai toujours eu un faible pour les grandes villes-ports car, où que l’on soit dans la ville, on sent « l’appel de la mer », tout le temps et tout autour de soi. J’ai eu l’occasion dans le passé de vivre dans de grandes villes portuaires françaises, à Marseille et à Brest. A cette époque je ressentais une forme d’énergie positive et bienveillante venant de la population de ces villes, sans doute alimentée par la richesse du mélange culturel et ethnique des habitants. Une ville portuaire c’est un accès à la mer, à l’océan, une invitation au voyage, une magnifique ouverture sur d’autres pays, d’autres cultures, d’autres façons de penser et de créer le monde et, finalement, une ouverture sur d’autres aventures.
Comment avez-vous abordé ce travail photographique ?
Par cette série de photographies, j’ai voulu retranscrire cette connivence et cette relation intime entre les habitants de Mahajanga et la mer. La photographie a ce merveilleux pouvoir de déceler les petits moments de poésie que nous n’avons plus forcément le temps de percevoir. Qu’ils soient dockers, capitaines de boutre, pêcheurs ou simples promeneurs du soir, leur vie économique et sociale est directement ou indirectement liée à cet environnement maritime. Mon rôle de photographe est de révéler cette amitié entre eux et « leur » mer.
Plus largement, qu’est-ce qui vous a conduit à la photographie ? Quels sont les thèmes qui vous accrochent ?
Plus jeune, j’ai toujours été attiré par les arts visuels, la peinture, le dessin, le graphisme mais surtout la bande dessinée. Je me suis découvert une passion pour la photographie assez tardivement et je trouvais que c’était un formidable moyen de raconter des histoires en m’inspirant de la narration venant de la BD. J’aime aussi recréer dans mes photos une illusion de mouvement inspiré du mouvement cinématographique. Les thèmes que j’abordent le plus souvent sont liés à l’Humain, à la société, ses problématiques, ses joies comme ses malheurs. Je me sers de la photographie pour proposer un témoignage sur l’état de notre monde.
« Un port, c’est un monde aux proportions énormes, à une autre échelle »
Vous avez réalisé l’exposition « Connecter les ports et les hommes » à Maurice. Qu’est-ce que vous retenez du lien entre un port et son environnement ?
C’est un univers fascinant qui m’a toujours attiré. C’est une zone très stratégique pour l’économie d’un pays : 99% de ce qui rentre et sort de notre île transite par le port. Le port a donc un impact stratégique et sociétal considérable pour un pays. D’ailleurs, j’ai découvert qu’un port est ouvert 365 jours sur 365, 24 heures sur 24. Un port ne s’arrête jamais. Il y a énormément d’acteurs qui gravitent autour de cette zone. Et indirectement, le port crée un lien très étroit entre ses habitants, ses alentours et son activité. Pour réaliser ces photos, j’ai parcouru le port et ses alentours pendant plusieurs semaines pour voir quel était le lien entre eux. En fait, la zone portuaire n’est pas très connue de la population. Par exemple, j’ai découvert qu’elle abrite une réserve où énormément d’oiseaux migrateurs du monde entier font escale. J’ai aussi eu la chance de côtoyer des hommes et des femmes qui y travaillent tous les jours. Ils font des métiers que l’on ne connait pas forcément : plongeurs qui inspectent les coques de vaisseaux, taxi boat, bateaux ravitailleurs, chantiers marins avec des équipes de 500 personnes capables de réparer toutes les pièces d’un navire, pêcheurs qui recousent les filets de thons, les tourneurs d’hélices…C’est un monde avec des proportions énormes… C’est une autre échelle. J’ai beaucoup travaillé avec des objectifs grand angle, pour capter un maximum d’éléments dans mes images
Comment avez-vous abordé ce travail photographique ?
Je me suis souvent déplacé sur les lieux et j’ai parcouru, caméra en main, tous les alentours. Certains accès étaient difficiles, j’ai dû souvent me repérer sur Google Map pour m’y rendre. J’ai pas mal discuté avec les gens que j’ai rencontrés… Car pour moi, l’homme reste au cœur de ma démarche artistique : sur la plupart des photos vous y verrez toujours un personnage. J’ai cherché à raconter une histoire et surtout faire découvrir aux Mauriciens cet univers que nous ne connaissons pas. C’est la vie des hommes et des femmes qui tournent autour du port. C’est le thème de cette exposition : comment un port connecte la population.
Plus largement, qu’est-ce qui vous a conduit à la photographie ? Quels sont les thèmes qui vous accrochent ?
J’ai un parcours artistique assez atypique. En effet, après avoir travaillé 20 ans dans l’univers de la publicité, j’ai tout plaqué pour la passion de la photographie. Je suis totalement autodidacte. J’ai appris en lisant beaucoup et en expérimentant une approche artisanale argentique noir et blanc. J’ai passé des heures à photographier et à développer mes films en chambre noire. De nos jours, être un photographe professionnel qui ne travaille qu’en argentique, peut paraitre un peu fou… mais c’est surtout la passion qui m’anime. J’aime le film et le grain qu’on y retrouve. Je suis un artiste-photographe voyageur, fortement influencé par Salgado et Pierrot Men. Mon approche se veut authentique et humaniste. Avec mon métier, j’ai eu la chance de parcourir, caméra en bandoulière, la plupart des iles de l’océan Indien. J’aime photographier les gens dans leur quotidien, je cherche constamment l’authenticité de l’humain.