Fanja Andriamampandry a fait le déplacement à Maurice pour recevoir le Prix Indianocéanie 2018 en l’honneur de son mari Jean-Pierre Haga Andriamampandry, auteur du roman primé « Le jumeau » et décédé quelques semaines après sa participation à l’appel à écritures. Rencontre avec cette femme touchante….
Que ressentez-vous en recevant ce prix Indianocéanie au nom de votre mari ?
Je suis extrêmement contente mais on aurait dû être heureux ensemble. Quand il a déposé son manuscrit, il sentait qu’il avait peut-être ses chances parce qu’il s’était vraiment investi. Les prix, c’était une motivation pour continuer. Quand il a reçu son premier prix, le prix de l’océan Indien, pour « L’œil du cyclone » en 2004, c’est aussi moi qui ai reçu le coup de fil. Je lui ai annoncé la nouvelle et nous avons sauté de joie tous les deux. Et ça aurait dû être comme ça aujourd’hui mais le destin en a convenu autrement. Quand on m’a annoncé le choix du jury, ça a été très dur d’annoncer le décès de mon mari. Je sais néanmoins que Jean-Pierre en aurait été extrêmement fier.
Vous avez dit que votre mari a commencé à écrire sur le tard. Qu’est ce qui l’a motivé et inspiré ?
Je pense que ses débuts tardifs ont fait qu’il n’avait pas l’assurance des écrivains. Il pensait que certains de ses textes étaient bons, il en était fier, mais il ne se sentait pas vraiment écrivain.
Mais je pense que quand on commence tard, on n’est pas blasé, ni essoufflé. On est sur un nouveau départ, un commencement.
Il a eu un passé professionnel très varié, trente métiers en vingt ans, mais lorsqu’il s’est retrouvé hospitalisé à plusieurs reprises en raison du stress causé par le travail, je lui ai dit d’arrêter et que je prendrai le relai. J’avais déjà remarqué qu’il écrivait bien. Je ne me souviens pas exactement de comment ça s’est passé mais je lui ai dit qu’il n’avait qu’à écrire pour les enfants car il racontait bien les histoires. Quand il inventait et racontait des histoires à notre benjamin, il était captivé et moi je me disais qu’il faudrait peut-être que je l’enregistre pour garder une trace de ses belles histoires.
Il était aussi auteur-compositeur-interprète…
Jean-Pierre aimait beaucoup les chanteurs à texte comme Georges Brassens, Jacques Brel, Léo Ferret, Renaud, Serge Gainsbourg … Une passion transmise à nos enfants. Et dans ses textes, on retrouvait ses influences.
Il a pris l’initiative de mettre ses textes en chanson pour pouvoir les transmettre parce que la poésie est rarement éditée. Là encore, il n’a pas de passé de musicien et pourtant il a inventé des mélodies. Il a appris à chanter pour ses textes.
Et à force de chanter, il s’améliorait. Mais pour lui ce n’était jamais suffisant. Il se sentait mal à l’aise par rapport à d’autres musiciens même si je lui disais que c’était l’émotion qui comptait. Et lui, il était sincère dans ses créations. Elles me touchaient.
Dans le public, j’étais stressée, parce que c’était lui qui chantait et il était déçu car je n’avais pas l’air d’apprécier ce qu’il faisait. Je regrette un peu de ne pas avoir su le mettre en confiance par rapport à ça alors que je l’admirais
Aviez-vous lu « Le jumeau » avant que votre mari ne l’envoie ?
Dans sa tâche d’écrivain, il me demandait toujours de lire ses écrits. Il n’était pas content parce que j’avais tendance à regarder les fautes quand lui voulait que je m’attarde davantage sur le fond. Et c’est vrai que c’est dommage parce que quand on s’attache trop à la forme, on peut se laisser aller et dénaturer un texte. Mais je l’accompagnais toujours dans la correction de ses manuscrits.
Qu’en avez-vous pensé ?
Le livre était super, objectivement. J’étais très contente car on lui disait souvent « pourquoi n’écris-tu pas sur Madagascar ? » et c’était aussi sa première œuvre longue. Il écrivait des textes courts, des poèmes/textes de chansons en français mais aussi en malgache. En revanche un vrai roman, c’était la première fois. Et j’étais contente parce que c’était un roman engagé. C’est vraiment un roman où on voit qu’il est proche de son pays, qu’il l’aime comme il aime les Malgaches.
C’est vrai qu’on a tendance à beaucoup critiquer Madagascar et sa population alors que c’est un beau pays avec des habitants qui sont très courageux.
On peut critiquer certaines pratiques mais il ne faut pas oublier que l’on est humain. Et c’est ce que j’aime dans ce roman. J’y ai retrouvé ce côté humain qui fait quelques fois pleurer.
Qu’est ce qui fait l’originalité de ce roman selon vous ?
Le côté humain et le fait qu’il ait osé.
Il y a bien des choses à dénoncer mais il avait peur. Il me disait : « est-ce prudent de dénoncer les choses dans la situation actuelle ? La réaction que peuvent avoir les gens quand ils pensent qu’on les critique peut être dangereuse ».
Pensez-vous éditer à titre commercial “Le jumeau” ?
Si je veux que ses écrits et lui ne tombent pas dans l’oubli, il faut absolument que ce roman soit réédité.
Le fait d’être à Antsirabe, loin de tout, a souvent rendu la tâche difficile. Contacter les éditeurs était une chose compliquée : jamais sûrs que les envois postaux arrivent à destination, impossibilité de faire des envois en recommandé car les éditeurs ne se déplacent pas toujours. On a toujours eu ce doute : « est-ce que ce n’est pas un envoi pour rien ?». Cet appel à écritures est arrivé à point, avec l’édition à 500 exemplaires de l’œuvre de mon mari. Il me faut donc perpétuer tout cela.
Dans l’attente de la réédition commerciale du roman, vous avez la possibilité d’en découvrir un extrait en cliquant sur le lien suivant:
Le Jumeau, Jean-Pierre Haga Andriamampandry, lauréat du Prix Indianocéanie 2018.