« Construisons dans l’océan Indien un espace d’ouverture pour des projets humanistes ambitieux de co-développement où les femmes auront leur place ».
Evelyne Corbière est une des premières sénatrices de La Réunion. Militante pour l’émancipation des femmes de son île et de l’océan Indien, Evelyne Corbière répond à nos questions en marge du séminaire de renforcement des capacités des femmes en position de leadership et mentorat, organisé par le projet GPS de la COI du 4 au 7 décembre à Saint-Denis et réunissant des femmes engagées du monde politique et de la société civile des États membres.
Vous êtes l’une des premières femmes de La Réunion à siéger au Palais du Luxembourg à Paris (ndlr : nom du Sénat en France). A la lumière de votre parcours, quelles sont les raisons de l’engagement relativement faible des femmes dans la vie publique et politique ?
Je fais partie des rares Réunionnaises à entrer au Sénat. Il est vrai que les femmes sont peu représentées à la Chambre Haute. En 2023, la part des femmes progresse (36%) et pour La Réunion, sur les quatre sièges au Sénat, trois femmes sont élues. Je pense que, si les femmes sont peu nombreuses en politique et de manière générale, dans la vie publique, c’est parce qu’on continue de dire aux femmes, parce qu’elles portent les grandes responsabilités de la famille, que tout engagement public viendrait fragiliser leur foyer. Il y a eu aussi très longtemps la crainte des hommes de voir les femmes s’emparer de leur place dans les mandats électifs.
La loi sur la parité a été une belle bataille menée par nos aînées dont Huguette Bello, présidente du Conseil Régional de La Réunion. Il est certain que notre génération de femmes n’en serait pas à observer cette progression sans ces pionnières. Aujourd’hui, même si la loi vise l’égalité, dans la réalité, il n’est toujours évident qu’une femme soit écoutée dans une assemblée à majorité masculine. Beaucoup de personnes considèrent encore que nous devons faire nos preuves.
Vous êtes Vice-Présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, vous êtes également la présidente de l’Union des Femmes Réunionnaises (UFR). Il ne fait aucun doute que l’émancipation des femmes est au cœur de votre engagement public, de vos combats. Pourquoi ce choix ?
Je suis féministe parce que cet engagement militant est devenu une évidence dans ma vie et dans mes choix. Petite, j’ai été admirative du courage des grandes féministes. J’ai compris le respect de mes proches pour ces femmes d’exception. Beaucoup plus tard, je me suis autorisée à militer et à donner de mon temps pour les femmes. Il n’y a pas eu de calcul ou de stratégie. J’ai seulement senti la nécessité de dire l’injustice du patriarcat, de dénoncer le sexisme qui casse les femmes et leur brise les ailes. J’ai beaucoup appris aux côtés d’Huguette Bello. À cette époque, elle était députée et présidente de l’UFR. Sans hésiter, elle m’a encouragée. J’ai eu besoin de persévérer et d’entrer dans une résistance solidaire avec toutes les femmes. J’ai ressenti la force et l’espoir des femmes et j’ai pris les responsabilités qui se présentaient pour que le combat continue. Je sens que je dois continuer.
Je me rends compte aujourd’hui que cet engagement est comme un fil rouge dans ma vie. Présidente de l’UFR, Vice-présidente de la Délégation aux Droits des Femmes du Sénat, pour moi il s’agit d’un même engagement, en cohérence avec mes responsabilités politiques et avec mes valeurs de militante. Et si je porte la voix des femmes, je souhaite surtout porter la voix de celles qu’on écoute moins, voire pas du tout.
« J’ai seulement senti la nécessité de dire l’injustice du patriarcat, de dénoncer le sexisme qui casse les femmes et leur brise les ailes. »
Quels changements positifs souhaiteriez-vous insuffler à travers votre mandat ?
Les grands changements que je souhaite voir ne peuvent se produire qu’à des échelles individuelles. Je souhaite amener les pères qui ont des filles à encourager avec force et amour leurs filles. Pour qu’aucun homme ne se résigne plus à voir sa fille souffrir, être dénigrée, dévalorisée, moins payée, toujours jugée, si peu reconnue pour les actions essentielles qu’elles auront portées. Le changement viendra de la prise de conscience des hommes de la grande injustice des inégalités sexistes.
Je pense qu’une nouvelle génération de femmes se lève. J’espère qu’elles seront la génération qui éduquera les garçons et filles dans le respect de soi et des autres.
Il faut que chaque femme soit convaincue qu’elle a assez de force et de courage pour réaliser son bonheur sans causer aucun tort à son entourage.
Je pense qu’il est possible de construire dans l’océan Indien un espace d’ouverture entre les pays pour des projets humanistes ambitieux de co-développement et de partage où les femmes auront leur place.
Vous avez assisté au début du séminaire de renforcement de capacités des femmes en position de leadership et mentorat. Que pensez-vous de ce type d’initiatives ?
Ce séminaire de renforcement de capacités des femmes en position de leadership et mentorat a été pensé pour offrir aux femmes de nos régions une opportunité de se rencontrer et de mesurer combien chacune peut être inspirante pour les autres. Ce type d’événement est important pour permettre aux femmes de se rencontrer. Elles réalisent que les parcours sont différents mais que les difficultés et les freins qui s’opposent à elles se ressemblent alors même qu’elles vivent des réalités différentes dans des pays différents. Il faut identifier ces freins et développer des techniques pour les surmonter et les contourner et surtout il faut les partager.
Quel message souhaiteriez-vous partager aux femmes de la région océan Indien ?
Ce que je souhaiterais dire aux femmes de la région océan Indien c’est que nous sommes toutes sœurs. Nos histoires se recoupent et le peuplement de nos régions ne s’est fait que grâce à elles.
J’espère que nous pourrons créer les liens nécessaires pour construire une solidarité des femmes de l’océan Indien pour améliorer les conditions de vie des femmes dans nos pays respectifs. Je crois qu’en connectant nos intelligences, nos capacités, nos dynamismes, nous pourrions faire émerger des solutions d’avenir qui pourraient répondre aux défis et aux impératifs sociaux, économiques et climatiques qui s’imposent…simplement pour nos familles et nos enfants !