Le 18 juin dernier a vu l’inauguration du projet de Génération d’Electricité à partir de Jatropha mahafalensis (GEMAHA) à Tsihombe dans le sud de Madagascar. Cofinancé à hauteur de 164 000 euros par le programme ENERGIES (soit 50% du budget total) et porté par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l’objectif de ce projet est de valoriser cette plante endémique en produisant de l’électricité grâce à l’huile fabriquée à partir de ses graines. Gilles Vaitilingom, coordonnateur de GEMAHA, nous explique les tenants et aboutissants de ce projet phare.
Parlez-nous de la genèse du projet de génération d’électricité rurale à partir de Jatropha mahafalensis au Sud de Madagascar.
Le projet est né suite à une rencontre entre le CIRAD et PHILEOL en 2015. Cette SARL malgache a été créée en 2008 dans le but d’exploiter les graines de ricin produites dans la région de l’Androy, au sud de Madagascar. L’huile de ricin produite était destinée à l’exportation vers l’Europe. En 2015, malgré une diversification vers d’autres graines telle celles de Jatropha, la production n’atteignait que 60% des objectifs de l’entreprise et le coût de l’électricité devenait une charge lourde pour l’usine. L’appel à propositions lancé par la COI fut un tremplin pour réaliser ce projet. Le CIRAD a alors proposé à PHILEOL Madagascar ainsi qu’à la recherche malgache en agronomie représentée par l’ESSA et au ministère de l’énergie, représenté par l’ADER, de déposer une note succincte de présentation du projet baptisé : « GEMAHA ».
Selon le CIRAD « l’objectif spécifique principal de ce projet est de tester et disséminer la génération d’électricité renouvelable grâce à une ressource locale existante et génératrice de croissance économique ». Pouvez nous en dire plus ?
GEMAHA signifie Génération d’Electricité à partir de Jatropha mahafalensis dans une des cinq régions les plus pauvres du pays. Le CIRAD s’est proposé de coordonner un projet visant à valoriser le Jatropha pas seulement pour l’export mais aussi au niveau local, en permettant de doubler la production de PHILEOL. Ainsi, l’appui à une SARLE rurale malgache s’accompagnait du développement d’une économie circulaire dans l’Androy. En effet, les objectifs du projet couvraient : l’électrification des populations, le développement économique de l’entreprise PHILEOL qui emploie des habitants de l’Androy et l’aide aux populations villageoises qui obtiennent un complément de revenu grâce à la collecte des graines de Jatropha achetées par l’entreprise.
Quelle est la situation actuelle des villages de l’Androy en matière d’accès à l’électricité, combien d’habitants regroupent-ils et quelle est la principale activité économique ?
Seul 15% de la population malgache a accès à l’électricité avec un taux de pénétration très faible en milieu rural. C’est le cas de la région Androy qui compte environ 3% de la population malgache soit 800 000 habitants. La plupart de ceux-ci vivent en milieu rural, sans électricité. Les villages sont constitués essentiellement de pécheurs, d’éleveurs et d’agriculteurs.
Parlez-nous de la Jatropha mahafalensis. Cette espèce est-elle invasive ? Quel est le gisement estimé de la ressource ? Comment les graines sont-elles cueillies ?
Le Jatropha mahafalensis et une plante endémique, non invasive, originaire du plateau Mahafaly et implantée dans les trois régions de l’Atsimo-Andrefana, de l’Androy et de l’Anosy. Ce buisson de taille modeste cohabite avec les autres plantes, et est disséminé sur tout le plateau. Une étude de la WWF (2013) estime le potentiel annuel de graine à 13 000 tonnes. L’ambition du projet est d’arriver à acheter 600 tonnes par an auprès des collecteurs et cueilleurs. Généralement, c’est le cas pour le projet, la récolte des graines se fait par ramassage au sol des graines séchées.
Comment extrait on l’huile de cette graine ?
L’huile est extraite dans les locaux de l’usine de PHILEOL à Tsihombé (Région Androy). La technique utilisée est le pressage par vis à froid. Les quatre presses de l’huilerie ont été importées d’Inde.
Quels équipements sont nécessaires pour générer de l’électricité à partir de cette huile ? Combien d’électricité sera générée par cette première phase ?
L’électricité est produite grâce à un groupe électrogène gasoil équipé d’un système de bicarburation permettant de basculer l’alimentation en carburant de gasoil à huile de Jatropha à l’aide d’un automate programmé. Dans cette première phase il est prévu de produire les besoins de l’usine de production s’élevant à 23 kW.
L’expérience a-t-elle été concluante ?
Le premier groupe électrogène a été mis en service en juillet 2018. Depuis le 10 avril 2019 l’usine est totalement autonome en électricité. Les traitements nécessaires à la bonne qualité de l’huile de Jatropha carburant ont été déterminés. L’expérience est concluante.
Quelle a été l’implication des populations concernées dans le projet ?
Au niveau de la collecte des graines, la création de 6 magasins de stockage, dans un rayon de 20 à 200 km autour de l’usine de PHILEOL, permettra d’augmenter le nombre de cueilleurs de 7000 à 11500. Ces derniers reçoivent un montant en cash pour chaque kilogramme de graines.
Dans l’huilerie, l’augmentation de la production de 60 à 200 tonnes d’huile permettra de pérenniser l’emploi de saisonniers et de fixer une main d’œuvre formée tout en passant le nombre d’employés de 10 à 20 personnes.
Quels ont été les principaux obstacles ?
Le projet s’est refusé à subventionner la matière première c’est-à-dire l’huile, et en remontant la filière, les graines de Jatropha mahafalensis. L’économie circulaire doit se générer à partir des conditions existantes. Le principal obstacle, le premier défi, tient donc dans l’approvisionnement en graines. Lequel est dépendant de la production végétale et par conséquent des incertitudes climatiques.
Ceci n’a pas manqué d’apparaître puisque les saisons 2016/2017 puis 2017/2018 ont été défavorables à la production de graines à cause d’une sécheresse prononcée. Ceci a lourdement impacté les objectifs du projet. La saison 2018/2019 sera bien plus favorable grâce à des pluies suffisantes.
Les autres difficultés découlent de l’éloignement de la zone du projet, et de la région Androy, des grandes villes et de la capitale malgache. L’accès par la route prend plusieurs jours depuis Tananarive. On peut atteindre Tsihombé par avion jusqu’à Tolagnaro (Fort Dauphin) ou Tuléar, suivi par une ou deux journées de piste. Que ce soit pour l’approvisionnement en matériel comme pour des échanges avec les décideurs des ministères, cet éloignement demeure un obstacle par les délais qui sont ainsi engendrés.
Enfin, l’organisation puis la tenue des élections présidentielles malgaches a impacté le calendrier prévisionnel du projet en générant un glissement des activités de plus de 6 mois.
Le CIRAD compte t’il dupliquer ce projet ailleurs ?
Si le projet est un succès, PHILEOL répliquera cette filière de carburant rural dans son projet d’implantation d’une usine dans le moyen ouest, à Tsiroanomandidy (à 220 km à l’Ouest de Tana sur la RN1). Le CIRAD envisage d’appuyer PHILEOL dans sa recherche de débouchés pour l’huile de Jatropha carburant à l’intérieur de Madagascar.
Par ailleurs, la valorisation économique des tourteaux est devenue un deuxième objectif spécifique du projet car celle-ci pourrait être l’élément économique décisif pour les investisseurs n’ayant pas, comme PHILEOL, accès à l’exportation de l’huile. Le CIRAD se détermine pour poursuivre cette voie de valorisation pour Madagascar. Le CIRAD va utiliser la vitrine ainsi créée pour lancer plusieurs réplications en Afrique de l’ouest (Mali, Burkina, etc.).
Dites-nous quelques mots sur vos partenaires qui ont contribué à la réussite de GEMAHA.
D’une manière générale les relations sont bonnes et cordiales entre le CIRAD et les codemandeurs. Chaque partenaire du projet a confirmé son intérêt et sa motivation pour GEMAHA.
PHILEOL est moteur dans le déroulement du projet. En tant que société privée, PHILEOL fait face à des défis quotidiens liés à l’environnement de Tsihombé et aux impératifs économiques et financiers. Mais PHILEOL tient ses engagements jusqu’à présent.
L’Agence de Développement de l’Electricité Rurale (ADER) est intervenue sur le site du projet et a contribué à l’organisation des différents évènements de communication du projet : lancement officiel, inauguration.
Les relations sont très cordiales avec l’équipe de l’Ecole Supérieure des Sciences Agronomiques – Université d’Antananarivo qui, de plus, se compose de scientifiques d’expérience nationale et internationale. Leur réactivité a permis d’avoir rapidement confiance dans la réalisation de leurs engagements. La mobilisation des équipes de l’ESSA est effective avec l’implication des équipes qui ont encadré 3 stagiaires à Tsihombé et 1 à Tananarive. Deux stagiaires supplémentaires vont poursuivre les travaux initiés par les précédents.