Interview de Jean-Michel Glachant, directeur de l’Ecole de régulation de Florence

Le programme COI-ENERGIES organise une formation continue sur la régulation énergétique, délivrée par l’Ecole de régulation de Florence et destinée aux représentants des Etats membres de l’organisation régionale chargés des questions d’énergie. La première étape de cette formation s’est déroulée à la COI du 6 au 8 février 2017. Elle sera suivie d’une formation en ligne pendant 10 semaines, puis d’une formation en présentiel avec tous les participants pour conclure le cycle. Durant cette formation, les participants, issus du secteur public et privé, apprendront à mieux connaître et comprendre les notions liées à la régulation énergétique, ainsi que la nécessité d’adapter le cadre de régulation des énergies renouvelables au cas particulier des pays insulaires.

  • Pourquoi parler de régulation du secteur énergétique ? Quel est le but d’une telle régulation et par quels moyens ?

L’énergie comme matériau a besoin de règles. D’une part parce que l’énergie peut être dangereuse, même en petite quantité, personne n’a envie qu’elle se répande partout.

D’autre part, dans la plupart des sociétés, l’énergie joue un rôle très social et économique très important. Afin que tout le monde ait accès à cette énergie, un souci d’équilibre et de développement humain est nécessaire.

  • Quelles conséquences l’insertion des énergies renouvelables dans les systèmes électriques a-t-elle sur les questions de régulation ?

Des conséquences en chaîne qu’on ne connait pas toutes. L’énergie renouvelable questionne de très nombreuses composantes.

A chaque fois qu’on change de technique énergétique, on change les possibilités d’action de tous les consommateurs et de tous les producteurs. Il y a une trentaine d’années les moyens de production étaient gigantesques : 1 000 à 2 000 mégawatts (MW) pour le nucléaire, ce qui correspond à la consommation de 1 à 2 millions d’humains.

Aujourd’hui, les moyens de production renouvelables, comme le solaire, sont 1 millions de fois plus petits qu’auparavant. Les forces économiques, industrielles ne sont plus les mêmes, et beaucoup de nouveaux petits producteurs rentrent donc en jeu. Ce sont souvent les consommateurs eux-mêmes : des consommateurs-producteurs. C’est une révolution considérable ! De la même ampleur que l’automobile individuelle remplaçant les rames des trains.

De plus ces énergies renouvelables ne sont peu voire pas du tout polluantes. Elles apportent une solution au  changement climatique. Des millions de personnes peuvent devenir producteurs et consommateurs et peuvent donc combiner leur action sociale aux grands enjeux mondiaux.

Il s’agit donc aujourd’hui de préparer les réseaux d’électricité existants à accueillir la décentralisation de la production.

  • Quelles sont les particularités des pays insulaires, comme les Etats membres de la COI, en matière de régulation énergétique ?

Les îles-Etats ne peuvent pas compter sur l’appui de leurs voisins en matière énergétique, et ne peuvent donc pas combiner au mieux leurs points forts et leurs points faibles. Du fait de leur petite superficie, la stabilité du réseau est également plus faible. Les énergies renouvelables n’ont pas non plus la même variété de régime climatique que dans un grand pays ; elles sont plus homogènes dans les îles. Par exemple, le régime de vent ne diffère pas ou peu sur 10 ou 40 kilomètres. On l’a vu encore très récemment avec le passage de la tempête tropicale Carlos. A Maurice l’île entière était touchée par les mêmes rafales de vent.

Comme région du monde, l’Indianocéanie est faite d’îles au niveau de richesse par tête limité. Une plus faible stabilité énergétique et des ressources limitées. Il faut donc mettre en place des solutions adaptées.

Comme par exemple La Réunion qui teste un dispositif de batterie de 1MW se substituant à la consommation quand elle est trop basse pour la production et inversement. A Maurice, l’utilisation de la biomasse permet de générer 450 gigawatt-heures par an. La biomasse ne doit pas effectuer de longs voyages avant son utilisation en énergie, car cela coûte cher et détériore la ressource. L’utilisation de la biomasse est donc tout à fait adaptée à des petites îles comme Maurice. Aux Seychelles, un îlot non habité pourrait être reconverti en parc de production et recouvert de panneaux photovoltaïques. A Madagascar, l’énergie hydraulique est encore trop peu utilisée malgré un potentiel très important.

  • Comment considérez-vous l’Indianocéanie en termes de potentiel de développement des énergies renouvelables ?

Les pays de l’Indianocéanie sont géographiquement proches les uns des autres, ils partagent une communauté de destin. Mais ils sont très différents au niveau des énergies renouvelables. Ces différences ouvrent donc des pistes de production énergétique différentes à explorer. Et l’expérience de chacun peut être partagée avec tous.

  • En quoi une approche régionale et commune peut-elle aider à faire face aux défis rencontrés par ces pays ?

Justement, les expériences au niveau local, que ce soit le fonctionnement de la production d’énergie choisie, la réaction de la population, les nouveaux services proposés, les solutions trouvées en cas de panne, peuvent nourrir des discussions régionales et éventuellement permettre de reproduire l’expérience ailleurs. Ce n’est pas la peine de réinventer la roue chacun de son côté ! Pendant notre formation dispensée à la Commission de l’océan Indien, les participants représentant les pays membres de l’organisation ont d’ailleurs marqué leur intérêt pour la création d’un groupe commun d’étude sur les codes des réseaux adaptés aux énergies renouvelables.

La coopération est toujours fructueuse, pour une approche commune face aux changements technologiques, aux changements des règles des services publics. La formation a montré que les pays de la région ont beaucoup de choses à échanger.

Biographie de Jean-Michel Glachant

Professeur d’économie à la Sorbonne, en France, Jean-Michel Glachant a ensuite travaillé pour une université scientifique où il a participé à la création du cursus européen d’échanges universitaires Erasmus. Il est aujourd’hui directeur de l’Ecole de régulation de Florence. Cette école s’attache à développer des programmes de recherche, l’enseignement, un dialogue politique sur la manière dont les Européens peuvent faire face ensemble aux défis énergétiques. L’Ecole propose également des formations internationales sur la régulation énergétique, dont ont bénéficié des représentants des pays membres de la COI du 6 au 8 février 2017 grâce au Programme COI-ENERGIES financé par l’Union européenne. Avant la COI, l’Ecole a travaillé avec le Brésil et l’Indonésie.